Compte rendu de Philippe Raccah, publié dans le Bulletin des Bibliothèques de France, 2008, t. 53, n. 2.
L’entreprise ambitieuse du Groupement de recherche international animé par Christian Jacob, dont cet ouvrage constitue le premier volume publié (trois autres suivront), a pour objectif une anthropologie et une histoire des savoirs, non de leurs contenus mais de leurs pratiques, c’est-à-dire de la façon dont ils sont produits, s’incarnent, sont validés, circulent, se transmettent.
L’entreprise ambitieuse du Groupement de recherche international animé par Christian Jacob, dont cet ouvrage constitue le premier volume publié (trois autres suivront), a pour objectif une anthropologie et une histoire des savoirs, non de leurs contenus mais de leurs pratiques, c’est-à-dire de la façon dont ils sont produits, s’incarnent, sont validés, circulent, se transmettent.
Ce premier et gros volume (1277 pages), sous-titré Espaces et communautés, s’attache, comme l’annonce C. Jacob, aux savoirs comme lien social et comme produit et principe de configurations spatiales, objet de fixation et de circulation.
Le champ des savoirs étudié comprend tous les domaines et toutes les époques : aussi bien les religions (taoïsme) que les sciences (la recherche bio-médicale contemporaine ou l’historiographie au xixe siècle), les réalisations techniques (les compagnons du Tour de France) ou théoriques (la philosophie antique) que les cultures traditionnelles (la pensée juive), les institutions d’enseignement (les universités au Moyen Âge) que les entourages des puissants (la cour iranienne des Sassanides), les communautés mystiques (monastères zen au Japon) que les programmes scientifiques actuels (exploration robotique de Mars), etc.
La méthode repose sur le comparatisme, qui rejette un modèle occidental unique, et la transdisciplinarité, qui fait éclater le compartimentage des disciplines traditionnelles.
Les 60 auteurs du présent volume sont des spécialistes de multiples horizons disciplinaires, historiens de la Chine ou de la Renaissance italienne, chercheurs en intelligence artificielle ou paléographes, anthropologues ou linguistes, etc., y compris plusieurs collègues bibliothécaires. Outre la réjouissante variété des textes, les sujets abordés sont ainsi dans leur majorité conçus à une échelle locale, non globalisante, et concernent un moment particulier, pas la longue durée.
Le résultat est un vaste panorama encyclopédique dans l’étendue et la diversité de ses objets (63 articles) mais sous la forme de coups de sonde vagabonds et non de tableaux systématiques, avec des éclairages et des points de vue variés et non des présentations synthétiques. Le lecteur est ainsi invité à plonger dans des lieux et des époques extrêmement divers, à s’intéresser à des personnages, des communautés, des pratiques, des entreprises et des écoles de pensée fort différentes.
Cela ne nuit aucunement à la cohérence du propos. La construction en quatre parties répond à quatre directions de recherche :
- « Communauté et institution » : règles, rites, valeurs partagées, styles de vie ;
- « Lieux du travail savant » : lieux de la production et de la diffusion des savoirs ;
- « Territoires et mobilité » : voyages, réseaux, centres et périphéries ;
- « Villes phares » : carrefours exemplaires dans l’histoire des savoirs.
Les trois premières parties comprennent de trois à cinq chapitres composés chacun de trois à quatre articles et d’une introduction qui montre en quoi le regroupement effectué illustre un thème particulier, tel que celui qui s’attache à montrer ce que les organisations des espaces apprennent sur le système de pensée d’une époque, avec les exemples de l’Académie royale des sciences, du musée de l’Homme et de l’exposition internationale japonaise de 2005. La dernière partie est consacrée à des exemples de villes phares qui ont incarné un moment de l’histoire des savoirs (comme la bibliothèque d’Alexandrie).
Plusieurs grilles de lecture sont possibles, chacune aussi excitante :
- soit en continu, d’une grande partie ou de l’ensemble du volume, pour apprécier l’envergure et la valeur heuristique de l’entreprise ;
- soit en suivant un des fils propres à l’ouvrage, par exemple la constitution des communautés savantes à travers les chapitres qui concernent les devins bassar du Nord-Togo, le système des examens publics dans la Chine impériale entre 1400 et 1900, le cercle des frères Dupuy à Paris aux xviie et xviiie siècles, Cicéron, le chef-d’œuvre des compagnons, les lettrés chinois de la Chine des Ming ou la recherche en réseaux contemporaine ;
- ou encore, au gré des centres d’intérêt personnels, les éclairages nouveaux apportés dans ce contexte à des époques ou des lieux particuliers, par exemple le Moyen Âge européen à travers les chapitres sur Saint-Victor et le milieu des victorins à Paris, le scriptorium médiéval, la mobilité entre universités au Moyen Âge, ou « Espace, temps et savoir dans la diaspora juive », qui déborde ce cadre mais y prête une particulière attention.
Tous les outils pour s’orienter, naviguer à loisir et approfondir les sujets d’étude sont présents : introduction éclairante de C. Jacob, table des auteurs, index des noms de lieux et des institutions et abondantes bibliographies qui accompagnent chacun des textes.
Cet ensemble de courtes monographies portant sur des études de cas a finalement l’allure d’une véritable encyclopédie, où l’on peut picorer au hasard les sujets qui intéressent et voyager librement en se laissant porter par le plaisir des découvertes.
Bref, un ouvrage important par l’originalité du propos et l’ampleur des connaissances transmises et que toute bibliothèque se doit de proposer à ses lecteurs.
Notice bibliographique :
« Lieux de savoir : espaces et communautés », BBF, 2008, n° 2, p. 96-96
[en ligne] <http://bbf.enssib.fr/> Consulté le 30 novembre 2010
[en ligne] <http://bbf.enssib.fr/> Consulté le 30 novembre 2010